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3 février 2009 2 03 /02 /février /2009 22:30
D'ordinaire, je ne suis pas d'un naturel très superstitieux.

Mais tout de même.

L'année dernière, à la même époque, j'avais cru comprendre que mon séjour angoumoisin (un bien vilain mot pour une aussi jolie ville), que ce séjour donc m'avait plutôt réussi. A moi, et à Tarumbana. (Lequel vient de changer son site, que je vous encourage à aller consulter, il a une sacrée allure)

Du coup, que croyiez-vous que j'ai fait le week end dernier?

Tout à fait, ça n'a pas raté.
J'y suis retourné.

Rien n'a changé, toujours autant de monde dans les rues, dans les allées, toujours les mêmes hordes d'auteurs ou d'aspirants auteurs emplis du même espoir fou que vous, venus chercher la même chose.

Autant de raisons de leur souhaiter de passer sous un bus, avec toute l'amitié confraternelle dont vous pouvez faire montre. Car soyons honnête,  les collègues, c'est bien. Quand ils ne signent pas, c'est mieux.

Car voyez-vous, si rien n'a changé à Angoulême, il y flotte pourtant comme un petit air de panique, et une odeur de sang, celle charriée par les projets annulés, et la situation actuelle de l'édition; Mais si, vous savez bien, la fameuse Crise dont on ne cesse de nous rabattre les oreilles et dont vous avez entendu parler plus que moi.

Sauf que la crise, elle a commencé plus tôt dans l'édition, et cela fait un petit moment qu'elle se manifeste chez les éditeurs. Evidemment, les auteurs sont aux premières loges pour écoper des plus gros morceaux de schrapnel. Sinon, ça ne serait pas drôle.

Et croyez-moi, en ce moment, on se marre tous les jours.

C'est donc dans cette saine ambiance de fin du monde généralisée que vous vous retrouvez à arpenter les allées, avec un seul but, une seule mission, un seul crédo.

Traquer l'éditeur.

Et comme vous êtes superstitieux, vous refaites les choses dans le même ordre.

(Je dis "vous" pour mieux vous associer à l'intensité de l'action, aucunement pour me dédouaner. C'est donc bien moi qui ai fait cette virée à Angoulême, mais vous qui y participez à travers cette modeste retranscription à côté de laquelle Waterloo était une aimable plaisanterie.)

Vous commencez par le même éditeur qui, l'année précédente, vous avait détruit les genoux, qualifiant votre projet de folie suicidaire éminament invendable.

Vous enchainez par le même éditeur qui, toujours prêt à vous faire plaisir, vous confirme que ce n'est pas pour sa maison mais que de toute évidence, c'est du solide tendance artillerie lourde et que cela trouvera sans problème son éditeur.

Ca n'a pas l'air comme ça, mais lorsque vous faites un bilan de début de parcours du combattant, tout semble plutôt se dérouler selon le plan initialement prévu. A ce moment là, il est évident pour vous que toute cette histoire va particulièrement bien se terminer.

C'est également à ce moment que vous vous souvenez que vous êtes assis à une terrasse de café, en face d'un personnage singulier, qui ne partage pas franchement votre entousiasme délirant. Il faut dire que lui, depuis le début du parcours, il en a pris plein la figure. En vrai, ce sont ses genoux que l'on a broyés - ce qui explique la pause que vous ne vous seriez pas accordée si vous aviez été seul.

Je parle évidemment du dessinateur du projet.

Lui, il a pris cher. Après avoir sué sang et encre sur les planches du projet, après avoir mis sa légendaire timidité de côté, il a accepté de croire à vos encouragements répétés ("Tu vas faire pleurer Loisel, coco") et il a accepté de vous suivre dans votre entreprise ("Puisque je te dis que j'ai déjà des fans chez Dupuis"). Le fou.

Assis devant son café, il se repasse en boucle les innombrables remarques négatives que lui ont fait tous les interlocuteurs que vous avez rencontrés jusque là, et vous explique par A + B pourquoi ce projet n'ira jamais nulle part, et comment il aurait mieux fait de faire plombier.

Il faut lui reconnaitre ça, il a tout pris en pleine figure, pour pas un rond, alors que vous avez été particulièrement  épargné. L'injustice est flagrante, bien que facile à expliquer.

D'abord, parce que vous savez faire un pitch sexy.

Ensuite, parce que le pitch, à peu de choses près, les éditeurs s'en fichent comme de leur première sortie - ce qui ne lasse pas d'étonner le dessinateur, qui aimerait bien, lui, que vous montriez un peu plus de solidarité - bref, que vous preniez aussi un peu des coups, histoire qu'il puisse souffler.

Enfin, parce qu'après avoir entendu les noms des deux éditeurs majeurs qui vous ont déjà fait confiance, vos interlocuteurs se sont totalement désintéressés de vous, et pour cause: vous ne faites pas partie du problème éventuel.

Non, le problème, c'est le dessinateur, et son manque d'expérience, criant selon eux quand ils pointent les imperfections et erreurs, réelles (rarement) ou imaginaires (souvent), qu'ils voient dans les planches que vous leur présentez.

Du coup, pour l'éditeur, le dessinateur fait une proie facile sur laquelle concentrer les critiques, afin de justifier la tiédeur de sa réaction, en réalité plus motivée par la trouille abyssale de se tromper en acceptant un projet trop risqué que par son manque de qualité. Ce qui se confirme quand, toujours prêt à aider, vous enfoncez le clou à côté, calme comme un bonze, en pointant à votre tour les incohérences du discours de l'éditeur.

Notez que c'est facile pour vous. Des projets, vous en avez à la pelle, comme autant de chances au tirage. Le dessinateur, lui, a beaucoup plus à perdre. Et cela ne lui est jamais apparu aussi clairement qu'en ce moment.

D'accord, je dramatise un peu.

Mais avouez que ça aurait moins de goût si je vous disais que tout s'est déroulé sans accro, que les éditeurs nous ont accueillis à bras ouverts, et qu'aucun dessinateur n'a été blesssé dans la vente de ce projet.

Je sais bien qu'au fond de vous, ce qui vous intéresse, c'est combien on en a bavé, combien cela a été dur, le nombre de fois que nous nous sommes retrouvés à terre, pour mieux nous relever, la volonté chevillée au corps, avec une foi encore plus ardente, refu après refus. Et les hectolitres de sang, de larmes et de sueur que nous y avons laissés.

Malheureusement, la réalité est autrement moins excitante.

Angoulême est une gigantesque foire, un beau miroir aux alouettes, mais l'expérience finit par parler. De fait, on sent moins les coups après avoir enchainé les éditeurs, nos propres réponses, notre propre argumentation est plus affutée, notre propos plus acéré.

A la fin du périple, alors que vous quittez le festival fourbu, sans aucune promesse, rien que de vagues perspectives après retravail complet de l'intégralité du projet - devinez qui va devoir se recoltiner les planches? Un indice: ce n'est pas le scénariste - la vérité, donc, c'est que vous vous êtes bien marrés.

Quelle que soit l'issue de toute cette histoire -qui reste à écrire - la beauté de la chose, c'était bel et bien cette plongée au coeur de la meule, avec votre meilleur pote à vos côtés, et de faire comme vous vous l'étiez toujours promis, il y a de cela déjà très longtemps, d'affronter ce baptême du feu sans trembler et sans vous renier.

Ceci, d'autant plus que je suis convaincu que cela a toutes les chances de payer.

A suivre, donc. Pas tout de suite, je le confesse. D'abord, parce que le dessinateur est une feignasse pantentée qui a cette lubie assez singulière de tenter de vouloir remplir son frigo en dessinant pour des magazines. Ensuite, parce que les éditeurs aiment bien prendre leur temps pour décider de vous dire non.

Enfin, parce que ce blog prend des allures de jachère lunaire en raison d'un empilement de projets, que je vous présenterai bientôt, c'est promis, en exclusivité mondiale. Ou au moins franco-belge.

Allez, bien parce que c'est vous, un aperçu d'un petit nouveau dans la galaxie Henscher. Vous n'avez pas fini d'entendre parler de ces deux là, et d'un certain Harold Fay.



La prochaine fois, je vous entretiendrai d'un sujet qui me tient à coeur, particulièrement en ce moment vu que j'ai les deux pieds dedans. Je  vous expliquerai comment vous pouvez survivre au retard grandissant de votre tome 2, et comment, par la même occasion, défendre votre tome 3.

Quand je vous disais que c'était la guerre, là dehors.











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commentaires

N
"La traque de l'éditeur".<br /> Avec un titre pareil, tu pourrais en faire un livre.<br /> Un polar plein de suspens peut-être...
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E
Sacrée aventure que voilà ! Je vous souhaite qu'elle se termine par une belle happy end à l'américaine (avec le salut de l'officier de marine à la fin !). <br /> Je rebondis sur ce que dit Nuages en te disant qu'il est aussi bon que trop rare de lire ces notes dans ton blog ; ces petites réflexions sur ce métier qui nous font dire : "Mais c'est bien sûr, j'ai toujours voulu le dire mais ne savais pas comment le formuler...".
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N
Je vais te faire un reproche, mon cher Henscher : c'est de ne pas écrire plus souvent sur ce blog ces petits billets doux-amers que je trouve fort savoureux.<br /> <br /> En tout cas, tu me renforces dans mon peu d'appétence pour les festivals comme Angoulême.<br /> <br /> Je comprends aussi, malheureusement, les réticences des éditeurs vis-à-vis du dessin de Djib. Les jetons, comme tu le dis. Quand on a peur, il faut bien trouver un prétexte. Mes goûts me portent vers des dessins plus "classiques" ou plus "doux", et je n'aime guère les monstres^^, pourtant je suis intimement convaincu qu'il y a un public pour ce style d'histoire et de dessin, qui ne soit ni "d'Auteur" dans sa niche, ni "commercial" bien lisse (et parfois faussement rebelle), mais un entre-deux qui fasse finalement preuve d'une réelle audace. C'est peut-être ainsi que l'édition BD parviendra à reconquérir ce public dont on dit qu'il se lasse...
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B
Bravo Henscher pour ces mots justes qui rendent bien compte des affres des dessinateurs, MERCI de te pencher un peu sur notre situation, et BRAVO!
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N
Allez les gars, on y croit. Et puis quoi ? Il faut bien que vous morfliez un peu, sinon l'histoire serait pas drole !<br /> <br /> Courage, le tout, c'est d'y croire et de se cramponner. Fort.
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