15 novembre 2008
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"Va falloir être courageux les gars, c'est pas brillant."
Votre éditeur vous lance un regard ennuyé de l'autre côté de son bureau débordant de dossiers urgents, dont aucun n'est évidemment le votre. Cela ne lui fait pas particulièrement plaisir de lâcher cette remarque au beau milieu de la conversation, notez bien.
Et pas parce qu'il n'apprécie pas de vous faire de la peine.
Non, cela a plus à avoir avec les soucis que lui cause l'échec patent de votre album. Parce qu'avant toute chose, cet échec, c'est surtout le sien avant d'être le votre.
Car votre éditeur a mouillé sa chemise auprès de gens que vous ne connaissez pas, pour défendre votre dossier, et pour convaincre ces mêmes personnes, généralement dénuées du sens de l'humour le plus élémentaire, qu'elles pourraient faire de l'argent en vous en donnant un peu.
Pas de bol, six mois après la parution dudit album, les chiffres semblent contredire son optimisme des débuts. Quand je vous disais qu'on revenait toujours aux mathématiques.
Pour le coup, c'est un peu votre éditeur qui a pris tous les risques. Il est comptable des résultats des projets qu'il signe, et quand les chiffres ne sont pas bons, c'est d'abord lui qui est en ligne de mire, pas vous.
Et ça, on oublie souvent de le rappeler. Il est donc difficile de lui en vouloir.
Alors comment on gère ça, en tant qu'auteur?
Un petit aveu, d'abord: vous avez beau vous être préparé depuis la signature du contrat, rien à faire, les chiffres vous tombent dessus comme une tonne de brique. A cet égard, toujours prévoir vos vacances APRES votre relevé de compte d'auteur semestriel; parce que vous allez en avoir besoin pour digérer.
Le problème des chiffres, c'est que ce sont de vrais boyscouts, avec leurs sempiternelles valeurs tournant autour de l'honnêteté, de la rectitude, du labeur toujours renouvellé, du sens de l'effort et du sacrifice. Bref, tout ce à quoi une feignasse professionnelle préfèrerait éviter d'avoir à se confronter.
Vous, vous rêviez plutôt de zéros à l'infini, de la gloire facile et des femmes immédiates, le tout avec un cigare.
A cet égard, les mauvais chiffres ont le mérite de vous remettre les idées en place, un peu comme les refus quasi systématiques des éditeurs de vos nouveaux projets, après deux séries vendues sans effort. Cela vous rappelle d'où vous venez, ce qu'il vous a fallu pour en arriver là, les trésors d'imagination et la masse de travail que vous avez du fournir pour que cela paye - si peu.
Et tout à coup, vous avez à nouveau faim.
Une faim immense, et une furieuse envie de revivre ce qui avait fait la magie de votre première signature. Du jour au lendemain, espacés de dix jours en Grèce, vous redécouvrez le goût de l'effort et du désir, toutes choses qui ont naturellement tendance à s'estomper quelque peu, une fois que vous avez atteint ce que vous pensiez être votre but, à savoir: publier.
Pour être tout à fait honnête, on se doute un peu du résultat des ventes avant d'avoir les informations de l'éditeur. On "sent" ce qu'il se passe, pour peu qu'on y prête un peu attention. Aucun article dans la presse papier - certes moribonde mais tout de même - aucune promo, pas d'interview, zéro sujet dans les forums spécialisés, un marché de l'édition en pleine crise, tout cela n'augurait rien de bon. (Et quand vous continuez à croire en votre bonne étoile, des "âmes charitables" se chargent de vous dresser un portrait catastrophique de votre situation, juste pour être bien sûr que vous ne perdez pas de vue la réalité)
Et ça n'a pas raté.
Enfin, la formule exacte serait : il paraitrait que cela n'ait pas raté.
Je m'explique.
Ceux d'entre vous qui n'ont jamais lu un relevé de compte d'auteur ignorent ce que c'est que de lire du Martien dans sa version pré-invasion vénusienne. Les chiffres ne sauraient mentir, c'est certain. Par contre, ceux qui vous les livrent ne vous aident pas exactement à les digérer.
Là encore, il s'agit de gens que vous ne connaissez pas - et que parfois votre éditeur ne connait guère mieux. Ils vous font part de la situation de votre album à un moment précis (la date du relevé du compte), sans jamais faire mine de vous tracer l' equisse du commencement d'un début d'explication concernant la façon dont ils ont fait leurs calculs,et comment ils ont organisé leur document.
Les vieux auteurs - et certains moins vieux - vous glisseront à l'oreille que c'est fait exprès, mais les gens sont méchants, surtout les auteurs. Et aigris, la plupart du temps. Il serait plus charitable d'en conclure que le métier de ces gens là, c'est les chiffres purs, et pas la nécessaire pédagogie qui devrait accompagner leur communication. Parce que là, ça touche aux lettres, et ils n'en ont peut-être pas autant que vous.
Tout cela pour vous dire que je serais bien en peine de vous donner un chiffre, car je suis moi-même encore en train d'essayer de comprendre ce qu'on me dit.
Tellement que, pour finir, je me suis désintéressé de la chose. J'ai classé la feuille dans le petit dossier relatif au Seigneur et je me suis concentré sur l'écriture des pages du tome 2, et d'autres projets à venir - et il y a du lourd qui arrive, c'est promis.
Croyez le ou non, cela m'a fait un bien fou.
Parce que décidément, les mathématiques, ça n'a jamais été mon fort et à trop m'y plonger, j'ai bien failli m'y noyer. (De rage, j'ai quand même désinstallé Excel de mon ordinateur, juste pour rappeler qui c'est le patron. Non mais.)
Pilon, pas pilon, finalement peu importe.
Ecrivez, il en restera toujours quelque chose, quelque part au fond d'une bibliothèque. Et c'est finalement tout ce dont vous devriez vous soucier au bout du compte.
Votre éditeur vous lance un regard ennuyé de l'autre côté de son bureau débordant de dossiers urgents, dont aucun n'est évidemment le votre. Cela ne lui fait pas particulièrement plaisir de lâcher cette remarque au beau milieu de la conversation, notez bien.
Et pas parce qu'il n'apprécie pas de vous faire de la peine.
Non, cela a plus à avoir avec les soucis que lui cause l'échec patent de votre album. Parce qu'avant toute chose, cet échec, c'est surtout le sien avant d'être le votre.
Car votre éditeur a mouillé sa chemise auprès de gens que vous ne connaissez pas, pour défendre votre dossier, et pour convaincre ces mêmes personnes, généralement dénuées du sens de l'humour le plus élémentaire, qu'elles pourraient faire de l'argent en vous en donnant un peu.
Pas de bol, six mois après la parution dudit album, les chiffres semblent contredire son optimisme des débuts. Quand je vous disais qu'on revenait toujours aux mathématiques.
Pour le coup, c'est un peu votre éditeur qui a pris tous les risques. Il est comptable des résultats des projets qu'il signe, et quand les chiffres ne sont pas bons, c'est d'abord lui qui est en ligne de mire, pas vous.
Et ça, on oublie souvent de le rappeler. Il est donc difficile de lui en vouloir.
Alors comment on gère ça, en tant qu'auteur?
Un petit aveu, d'abord: vous avez beau vous être préparé depuis la signature du contrat, rien à faire, les chiffres vous tombent dessus comme une tonne de brique. A cet égard, toujours prévoir vos vacances APRES votre relevé de compte d'auteur semestriel; parce que vous allez en avoir besoin pour digérer.
Le problème des chiffres, c'est que ce sont de vrais boyscouts, avec leurs sempiternelles valeurs tournant autour de l'honnêteté, de la rectitude, du labeur toujours renouvellé, du sens de l'effort et du sacrifice. Bref, tout ce à quoi une feignasse professionnelle préfèrerait éviter d'avoir à se confronter.
Vous, vous rêviez plutôt de zéros à l'infini, de la gloire facile et des femmes immédiates, le tout avec un cigare.
A cet égard, les mauvais chiffres ont le mérite de vous remettre les idées en place, un peu comme les refus quasi systématiques des éditeurs de vos nouveaux projets, après deux séries vendues sans effort. Cela vous rappelle d'où vous venez, ce qu'il vous a fallu pour en arriver là, les trésors d'imagination et la masse de travail que vous avez du fournir pour que cela paye - si peu.
Et tout à coup, vous avez à nouveau faim.
Une faim immense, et une furieuse envie de revivre ce qui avait fait la magie de votre première signature. Du jour au lendemain, espacés de dix jours en Grèce, vous redécouvrez le goût de l'effort et du désir, toutes choses qui ont naturellement tendance à s'estomper quelque peu, une fois que vous avez atteint ce que vous pensiez être votre but, à savoir: publier.
Pour être tout à fait honnête, on se doute un peu du résultat des ventes avant d'avoir les informations de l'éditeur. On "sent" ce qu'il se passe, pour peu qu'on y prête un peu attention. Aucun article dans la presse papier - certes moribonde mais tout de même - aucune promo, pas d'interview, zéro sujet dans les forums spécialisés, un marché de l'édition en pleine crise, tout cela n'augurait rien de bon. (Et quand vous continuez à croire en votre bonne étoile, des "âmes charitables" se chargent de vous dresser un portrait catastrophique de votre situation, juste pour être bien sûr que vous ne perdez pas de vue la réalité)
Et ça n'a pas raté.
Enfin, la formule exacte serait : il paraitrait que cela n'ait pas raté.
Je m'explique.
Ceux d'entre vous qui n'ont jamais lu un relevé de compte d'auteur ignorent ce que c'est que de lire du Martien dans sa version pré-invasion vénusienne. Les chiffres ne sauraient mentir, c'est certain. Par contre, ceux qui vous les livrent ne vous aident pas exactement à les digérer.
Là encore, il s'agit de gens que vous ne connaissez pas - et que parfois votre éditeur ne connait guère mieux. Ils vous font part de la situation de votre album à un moment précis (la date du relevé du compte), sans jamais faire mine de vous tracer l' equisse du commencement d'un début d'explication concernant la façon dont ils ont fait leurs calculs,et comment ils ont organisé leur document.
Les vieux auteurs - et certains moins vieux - vous glisseront à l'oreille que c'est fait exprès, mais les gens sont méchants, surtout les auteurs. Et aigris, la plupart du temps. Il serait plus charitable d'en conclure que le métier de ces gens là, c'est les chiffres purs, et pas la nécessaire pédagogie qui devrait accompagner leur communication. Parce que là, ça touche aux lettres, et ils n'en ont peut-être pas autant que vous.
Tout cela pour vous dire que je serais bien en peine de vous donner un chiffre, car je suis moi-même encore en train d'essayer de comprendre ce qu'on me dit.
Tellement que, pour finir, je me suis désintéressé de la chose. J'ai classé la feuille dans le petit dossier relatif au Seigneur et je me suis concentré sur l'écriture des pages du tome 2, et d'autres projets à venir - et il y a du lourd qui arrive, c'est promis.
Croyez le ou non, cela m'a fait un bien fou.
Parce que décidément, les mathématiques, ça n'a jamais été mon fort et à trop m'y plonger, j'ai bien failli m'y noyer. (De rage, j'ai quand même désinstallé Excel de mon ordinateur, juste pour rappeler qui c'est le patron. Non mais.)
Pilon, pas pilon, finalement peu importe.
Ecrivez, il en restera toujours quelque chose, quelque part au fond d'une bibliothèque. Et c'est finalement tout ce dont vous devriez vous soucier au bout du compte.